Tarass Chevtchenko

TARASS CHEVTCHENKO (1814-1861)

Poète, prosateur, ethnographe, peintre, il est avant tout le père de la littérature ukrainienne, voire de la langue ukrainienne moderne. En quelque sorte, l’équivalent de Pouchkine en Russie et de Mickiewicz pour la Pologne.

Sa vie est tout un roman : orphelin à 12 ans, serf, soldat-forçat, exilé, autodidacte… Son œuvre principale reste le Kobzar (Le barde), véritable monument national. (Pour plus de détails, voir l’article de Wikipedia)

Si sa poésie reste largement méconnue dans le monde francophone, cela tient sans doute aussi au fait qu’elle est inséparable de la langue ukrainienne, au point miraculeux de sa gestation entre oral et écrit, mélodie et prosodie, folklore et modernité.

 

Testament / Заповiт

Quand je mourrai, enterrez-moi
Au milieu de nos plaines,
Sur un tertre au milieu des steppes
De ma si douce Ukraine.
Pour que je voie les champs immenses,
Les rives escarpées,
Que je puisse entendre le Dniepr
Mugir à mon côté.
Quand le fleuve, loin de l’Ukraine,
Dans la mer bleue profonde
Versera le sang ennemi,
Je quitterai ce monde,
Champs et collines… M’envolerai
Au royaume de Dieu
Pour prier… Mais en attendant,
Je ne connais pas Dieu.
Enterrez-moi et dressez-vous,
Brisez les fers maudits,
Arrosez votre liberté
Du sang de l’ennemi !
Et que dans la grande famille
Délivrée de ses chaînes,
Avec des mots doux et paisibles
De moi l’on se souvienne.

Як умру, то поховайте
Мене на могилі
Серед степу широкого
На Вкраїні милій,
Щоб лани широкополі,
І Дніпро, і кручі
Було видно, було чути,
Як реве ревучий.
Як понесе з України
У синєє море
Кров ворожу… отойді я
І лани і гори —
Все покину, і полину
До самого Бога
Молитися… а до того
Я не знаю Бога.
Поховайте та вставайте,
Кайдани порвіте
І вражою злою кров’ю
Волю окропіте.
І мене в сем’ї великій,
В сем’ї вольній, новій,
Не забудьте пом’янути
Незлим тихим словом.

Le prophète

Le Seigneur qui aimait les gens,
Tels de simples et bons enfants,
Envoya sur terre un prophète
Pour que la vérité divine
Et Son amour les illuminent.
Comme le Dniepr que rien n’arrête,
Sa parole coulait sans fin
Dans le cœur de tous les humains,
Et à son invisible flamme
Brûlaient les plus froides des âmes.
Avec amour les gens suivaient
Le prophète partout sur terre,
En l’écoutant aussi pleuraient
Les hommes sages. Et pervers…
Car la sainte gloire de Dieu,
Ils l’ont souillée, vendue, ces gueux !
Ils ont lapidé leur Sauveur,
Le saint prophète du Seigneur.
Alors pour ces bêtes féroces
Dieu, plein de colère soudaine,
Fit forger de solides chaînes
Et creuser de profondes fosses.
Race cruelle et inhumaine,
Au lieu du prophète humble et doux,
Dieu envoya un tsar pour vous !

1859

 

Hymne des nonnes

Frappe, ô foudre, cette maison,
Maison de Dieu où nous mourons ;
Seigneur, te méprisent les nonnes,
Te méprisent et entonnent :
Alléluia !

Sans toi nous saurions la tendresse,
L’amour et les douces caresses,
Sans toi nous aurions des enfants,
Que nous instruirions en chantant :
Alléluia !

Tu nous as dupées, ô Seigneur,
Tu as volé nos pauvres cœurs,
Mais nous-mêmes nous te raillons,
Et en gémissant nous clamons :
Alléluia !

Tu nous a fait prendre le voile,
Mais jeunes encore et joviales,
Nous voulons danser et chanter,
Sans fin chanter et répéter :
Alléluia !