Lessia Ukraïnka

 

 

LESSIA UKRAÏNKA (1871-1913)

Lessia Ukraïnka (1871-1913) est avec Tarass Chevtchenko, le père de la littérature ukrainienne, à la source même du sentiment poétique et national de tout un peuple qui s’est vu aujourd’hui projeté, bien malgré lui, au cœur de l’histoire européenne et mondiale. Par le pseudonyme choisi dès le début, elle affirmait que sa parole serait inséparable du combat pour la liberté et l’indépendance de l’Ukraine, en dépit de la censure et de la surveillance policière exercée par le régime tsariste, ainsi que des longues errances en pays étrangers dues à la tuberculose osseuse qui la consumait. Et rien ne témoigne davantage du « pouvoir rédempteur de la poésie », auquel elle ne cessa de croire, que les milliers de gens qui, arrachés à leurs foyers, à leur pays par une force cynique et brutale, répètent inlassablement les dix vers écrits, il y a près d’un siècle et demi, par une fillette ukrainienne de neuf ans. Ce sont eux qui inaugurent la présente anthologie, dont le traducteur s’est attaché à donner une « équivalence fonctionnelle », tant sémantique et associative que prosodique, des poèmes de Lessia Ukraïnka composés dans une langue particulièrement mélodieuse et comme rythmés par les sept cordes d’une kobza.

 (Nouvelle édition bilingue, revue et légèrement augmentée,
du livre paru en 1978, désormais introuvable).

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La graphie UKRAÏNKA est préférable en français à la transcription phonétique « Oukraïnka », dans la mesure où l’hétéronyme voulu par elle était le nom même de son peuple : Lessia l’Ukrainienne.

Ecoutez cette poésie en ukrainien

Хотіла б я піснею стати
У сюю хвилину ясну.
Щоб вільно по світі літати,
Щоб вітер розносив луну.

Щоб геть аж під яснії зорі
Полинути співом дзвінким,
Упасти на хвилі прозорі,
Буяти над морем хибким.

Лунали б тоді мої мрії
І щастя моє таємне,
Ясніші, ніж зорі яснії,
Гучніші, ніж море гучне.

Je voudrais être une chanson
En ce clair instant de fortune,
Pour voler comme un papillon,
Comme le vent chassant la lune.

Je volerais vers les étoiles,
Hantée de mélodies sonores,
Puis j’irais sur les flots sans voile
Moduler de nouveaux accords.

Et l’on verrait comme s’exhalent
Mes rêves et mes joies secrètes,
Plus lumineux que les étoiles,
Plus puissants qu’une mer défaite.

 

***

Lorsqu’il m’arrivait de chuter
Au temps lointain de mon enfance,
Bien qu’aiguillonnée de douleur
Je me levais sans doléance.

« Tu as mal ? » me demandait-on,
Mais moi je n’avouais jamais…
Étant une gosse très fière,
Pour ne pas pleurer je riais.

Maintenant qu’en farce cruelle
Va s’achever pour moi le drame,
Et que déjà pourraient jaillir
Les plus méchantes épigrammes,

Du rire, cette arme féroce,
Je redoute de me servir,
Et, bien enterrée ma fierté,
Je sanglote pour ne pas rire.

1897

**  Voici sa première poésie, écrite à l’âge de 9 ans, en écho à la déportation de sa tante en Sibérie, pour appartenance au mouvement de libération de l’Ukraine. Ce poème a été récité par Catherine DENEUVE en ouverture du Festival de Cannes en mai 2022. ECOUTEZ

L’espérance

Je n’ai plus ni bonheur ni liberté,
Une seule espérance m’est restée :

Revenir un jour dans ma belle Ukraine,
Revoir une fois ma terre lointaine,

Contempler encore le Dniepr si bleu
– Y vivre ou mourir importe bien peu –,

Revoir une fois les tertres, les plaines,
Et brûler au feu des pensées anciennes…

Je n’ai plus ni bonheur ni liberté,
Une seule espérance m’est restée.

Loutsk, 1880

       Надiя

 Ні долі, ні волі у мене нема,
Зосталася тільки надія одна:

Надія вернутись ще раз на Вкраїну,
Поглянути ще раз на рідну країну,

Поглянути ще раз на синій Дніпро, –
Там жити чи вмерти, мені все одно;

Поглянути ще раз на степ, могилки,
Востаннє згадати палкії гадки…

Ні долі, ні волі у мене нема,
Зосталася тільки надія одна.

Lu en ukrainien