Anna Akhmatova

LES POÉSIES D’AMOUR
Editions Circé

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4e de couverture

Anna Akhmatova (1889-1966) eut très tôt conscience d’avoir donné la voix aux femmes dans la poésie russe en leur « apprenant à parler de l’amour ». Dès ses deux premiers recueils Le Soir et Le Rosaire, parus en 1912 et 1914, elle devient une star avant la lettre, étant imitée par les jeunes femmes dans sa façon de s’habiller et de se coiffer, suscitant surtout une multitude de vocations poétiques et d’épigones durant des décennies, en dépit même de l’ostracisme officiel, de l’interdiction de publier qui la frappera en 1926-1939, puis de 1946 à 1958. Aujourd’hui encore, les jeunes mariées se voient offrir un livre de celle qui pour les russophones restera à jamais le chant même de l’amour.

La nouveauté radicale d’Akhmatova, qui représentait aux côtés de Goumiliov et Mandelstam le mouvement acméiste appelé à rompre avec le flou métaphysique et formel du symbolisme, résidait moins dans la « déferlante amoureuse » de sa poésie que dans une poétique inédite. Ayant « puisé dans la prose russe du dix-neuvième siècle sa sensibilité morale, la vérité des motivations psychologiques », elle fait de chaque poème un fragment de nouvelle ou de roman, une page arrachée à un journal intime, retraçant toutes les phases et situations de l’aventure amoureuse. « L’héroïne lyrique, comme le notait dès 1923 le grand poéticien russe Boris Eichenbaum, est un oxymore incarné, tressant l’émouvant et le sublime au terrestre et à l’effrayant, la simplicité à la complexité, la sincérité à la malice et la coquetterie, la bonté à la colère, l’humilité monastique à la passion et la jalousie ».

                           104 poésies choisies, traduites et présentées par Henri Abril

 

     4 extraits

 

Tes paroles tranchées, glaçantes
Et tes yeux comme fous…
L’aveu de ton amour avant
Le premier rendez-vous.

Mais je t’avais été promise
En un siècle lointain,
Vers toi je franchissais les mers,
Poussée par le destin.

Et sans savoir ton nom, ni même
À quoi tu ressemblais,
Comme l’aube surgie de la nuit
Je te reconnaîtrais.

1909

***

Akhmatova, croquis de Modigliani

 

Tous fêtards et pécheurs nous sommes,
Mais la tristesse nous ravage.
Collés aux murs, fleurs et oiseaux
Ont la nostalgie des nuages.

La pipe noire dans ta bouche
En étrange fumée se tord.
J’ai enfilé ma jupe étroite
Pour paraître plus svelte encore.

On a condamné les fenêtres,
Et je ne sais s’il gèle ou vente.
Tes yeux sont pareils aujourd’hui
À ceux d’une chatte prudente.

O, quelle angoisse dans mon cœur !
Est-ce ma mort qui là se terre ?
Mais celle qui danse avec toi
À coup sûr ira en enfer.

1er janvier 1913

***

Le sentier du jardin maritime a noirci,
Jaunes et fraîches les lanternes.
Je suis en paix. Mais il ne faut pas que sur lui
Notre conversation revienne.

Mon fidèle ami, nous allons nous promener,
Nous embrasser, vieillir peut-être…
Et tels des étoiles neigeuses, les mois légers
Voleront au-dessus de nos têtes.

1914

****

Moi, soumise ? Tu perds la tête, allons !
Soumise, je ne le suis qu’au Seigneur.
Je ne veux ni frémissement ni douleur :
Bourreau mon époux, geôle sa maison.

Pourtant, je vins de plein gré, sans façon…
Naissait décembre, ses vents en fureur,
Et dans la nuit hérissée de guetteurs
Si claire alors m’apparut ta prison.

Ainsi l’oiseau au verre transparent
Cogne son corps – et met son aile en sang
Pour échapper au froid, à la tourmente.

J’ai retrouvé la paix et le bonheur.
Adieu, je vais te garder dans mon cœur
Pour avoir admis chez toi une errante.

Août 1921