Anthologie de la poésie russe pour enfants

BILINGUE

Choix, traduction et présentation de Henri Abril

 

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Il y a sans doute peu de pays au monde où la poésie spécialement  écrite pour les enfants soit aussi populaire qu’en Russie, au point de s’être constituée en genre tout à fait à part depuis le début des années vingt de notre siècle. Si elle a pu servir parfois de refuge à des poètes qui, tels Kharms, Sapguir ou Grigoriev, n’avaient pas la possibilité, sous le régime soviétique, de publier leurs œuvres « pour adultes », cette poésie reflétait cependant les réalités du pays et de l’époque, singulièrement articulées par le jeu obsédant du son et du sens, du rythme, du mètre, de la rime.

Ne crains pas les contes de fées,
Crains plutôt le mensonge.
Un conte ne peut pas tromper :
En plein dans le vrai il nous plonge.

Ce volume réunit dix des poètes les plus représentatifs (Sacha Tchiorny, Korneï Tchoukovski, Samuel Marchak, Daniil Kharms, Boris Zakhoder, Valentin Bérestov, Guenrikh Sapguir, Roman Sef, Younna Morits, Oleg Grigoriev), des poèmes que des millions d’enfants russes, aujourd’hui encore, connaissent par cœur.

« Emouvante et inattendue, l’anthologie que Henri
Abril a consacrée à la poésie russe pour enfants, qui
comble un vide dont on ne connaissait pas forcément
l’existence »

                                                                                (Le Monde des Livres, décembre 2000)

QUATRE EXTRAITS

 

Daniil Harms

Hardi hérisson

Dans la cour il y avait une caisse.
Des animaux s’en approchèrent,
se mirent à l’examiner, à la renifler, à la lécher.
Tout à coup, une, deux, trois — la caisse s’ouvrit.
Et il en sortit — un serpent.
Les animaux terrifiés s’enfuirent.
Sauf le hérisson qui se jeta sur le serpent
et une, deux, trois — le tua net.

Alors, le hérisson s’est assis sur la caisse
et il a crié : « Co-co-ri-co! »
Non, pas comme ça. Il a crié : « Ouah-ouah ! »
Mais non, le hérisson criait : « Miaou-ou ! »
Non… Mince, je ne sais plus !
Qui peut me dire ce que crient les hérissons ?

 

Valentin Bérestov

Le petit poète

« Salut, poète ! » criait-on en riant.
Le poète était un enfant.
Et il ne rêvait pas de gloire,
Il rêvait seulement de pouvoir
Se venger de ceux qui criaient à tue-tête :
« Poète ! poète ! pouète-pouète ! »

 

Guenrikh Sapguir

Deux moitiés

Vivait au temps jadis
sous une tente
un homme qui était fait
de moitiés différentes.

Et les enfants
s’étonnaient à sa vue :
rasé à droite
mais à gauche, barbu.

D’un côté, un dandy,
de l’autre, un vrai clochard;
une jambe en haillons,
l’autre tout en brocart.

Un pied trébuche,
l’autre avance tout droit;
l’œil gauche est toujours triste,
l’autre brille de joie.

Ainsi les deux moitiés
en désaccord vivaient sans cesse.
Mais toutes deux aimaient
la confiture épaisse !

 

Roman Sef

Leçon de français

Il y avait
Dans la rivière
Un gros brochet
Qui savait se taire
En français.
Les canards
Si bavards,
Les hochequeues
Si curieux
Lui demandaient :
« Cher ami, cher brochet,
Taisez-vous un peu
En français. »
Et le brochet
Se taisait,
Se taisait tout le temps
En pur français.