Afanassi FETH
(1820-1892)
Vers à Ophélie
Ma sœur, mon ange, mon génie,
Ne viens-tu pas, ombre légère,
Doucement me parler ici
En volant doucement dans l’air ?
Tu t’en viens m’inspirer sans fièvre
Et d’un mal tendre me guéris,
Et tu m’insuffles de doux rêves,
Ma sœur, mon ange, mon génie…
*
J’ai tant mal, Ophélie, ô mon amie si tendre !
Mon âme et mon cœur sont fanés.
Oh, chante-moi le vent qui tourne et se lamente
Près de la tombe abandonnée.
Quand le cœur est malade et que l’âme est souffrante,
Plaintes et pleurs ne les étonnent.
Oh, chante-moi le saule, le saule vert, chante
Le saule de ta sœur Desdémone.
*
Ophélie mourait et chantait,
Tressant des couronnes légères ;
Avec ses fleurs et sa chanson
Elle a coulé dans la rivière.
Au fond de mon âme, en chantant,
Beaucoup de choses sombreront,
Car j’ai tant d’amour et de rêves,
Et tant de pleurs et de chansons.
***
Que notre langue est pauvre ! Amis ou ennemis,
Comment leur expliquer ce qui en moi frémit,
Ce qui, flot transparent, soulève ma poitrine ?
En vain depuis toujours les cœurs sont tourmentés,
Et devant ce mensonge et sa fatalité
Le vieux sage à son tour s’incline.
Poète, chez toi seul, le bruit ailé des mots
A su saisir au vol et fixer aussitôt
Notre délire obscur, le flou parfum de l’herbe.
Ainsi, quittant un jour sa mesquine vallée,
Vers l’espace infini l’aigle s’est envolé,
Les éclairs dans sa griffe étreints comme une gerbe.
1887
Traduction © Henri Abril. Tous droits réservés