Pavlo Tytchyna

PAVLO TYTCHYNA (1891-1967)

Il a pu passer pour le Maïakovski ukrainien, sans en avoir toutefois la puissance et l’audace. Et à partir des années 1930, devenu pratiquement le « poète officiel » du régime, couvert de tous les titres et honneurs possibles, on le vit adopter les clichés et slogans que jusque-là il fuyait avec soin.
Il reste que nombre des vers et images de sa première période sont devenus proverbiaux, contribuant par leur fraîcheur et leur innovation formelle à moderniser la langue et la poésie ukrainienne.

Sur la place / На майданi 

Sur la place de l’église
la révolution est là.
― Que le berger, crient les hommes,
nous mène tous au combat !

Adieu, jusqu’aux temps plus libres.
Ho ! les gars, vite à cheval !
Tout s’agite et tout bourdonne,
la mer des drapeaux s’étale…

Sur la place de l’église
les mères ont du chagrin :
ô lune, du haut du ciel,
éclaire donc leur chemin.

La place bientôt se vide,
et les voix s’enfuient…
Le soir tombe.
Nuit.

На майдані коло церкви
революція іде.
— Хай чабан! — усі гукнули,—
за отамана буде.

Прощавайте, ждіте волі,—
гей, на коні, всі у путь!
Закипіло, зашуміло —
тільки прапори цвітуть…

На майдані коло церкви
постмутились матері:
та світи ж ти їм дорогу,
ясен місяць угорі!

На майдані пил спадає.
Замовкає річ…
Вечір.
Ніч.

1918

***

O ma douce Inna, tendre Inna !
Je suis seul. Et il neige…
J’avais tant aimé votre sœur,
De mon âme enfantine.
Jadis. Les prés étaient en fleurs.
O ma douce Inna, tendre Inna,
L’amour fleurit, puis soudain se calcine.
Il neige, neige, neige.

Et je me souviens de vos yeux,
Comme d’un céleste chœur.
Soir d’hiver. Silence. Nous deux.
Je vous suis étranger.
Mais quelqu’un crie : c’est ton âme sœur !
Rien que le ciel… les bois chuchotent….
Oh non, ce sont vos yeux : Et je sanglote.
Votre sœur ou vous ? J’ai aimé…

 

Trois fils

Trois fils un jour sont venus voir leur mère,
trois fils étrangers, bien que de sa chair.
L’un défend les pauvres,
l’autre est pour les riches,
et le dernier, plein de forces, languit :
c’est un bandit.

« Oh, maman, dit le premier aux yeux bruns,
notre monde n’a pas de fin !
Le malheur ne vient pas qu’ici,
nous ne vivons pas seuls dans la misère :
les gens souffrent partout sur terre
à cause des riches maudits ».

« Eh, la mère ! dit le deuxième aux cheveux noirs,
qu’importe la vie autre part ?
Nous avons ici tout ce qu’il nous faut :
blé, charbon et troupeaux.
Qu’on aille donc le pendre à une corde,
ce damné fauteur de désordre ! »

« Ho, la vieille ! dit le troisième au front bas,
chasse-les vite de l’isba,
ils vont me fâcher à la fin !
Un bon poing,
c’est ça la liberté, le vrai bonheur pour l’homme !
Riche ou pauvre, pour moi c’est tout comme ».

Le premier prend son sabre,
le deuxième se met en garde,
le troisième tire son poignard…
« Oh, fiston, mon enfant, mon fils chéri ! »
Tombe mort le bandit.
Les deux frères continuent de se battre ―
il n’est rien qui les sépare.