Complaintes de l’âge de pierre

COMPLAINTES DE L’ÂGE DE PIERRE
(passibles de mise en musique)

Il s’agirait de regrouper ici la douzaine de complaintes,
sortes de romances « naïves et cruelles »,
griffonnées entre deux trains vers la fin des années 1980.
Pour l’heure, je n’ai pu retrouver que trois d’entre elles…

1. Complainte des fantômes
2. Complainte des fleuves
3. Complainte de la foi triste
4. Complainte de l’amour en guerre
5. Complainte du rappeur
6. Complainte de la cambrousse
7. Complainte de l’Apocalypse
8. Complainte du nymphomane
9. Complainte du bas de laine
10. Complainte de la tendresse
11. Complainte de la meuf parfaite
12. Complainte pour Eugénie

***

Complainte de la foi triste

Qu’importe que l’on soit
Né Brutus ou César,
La brute qu’on porte en soi
N’est pas fruit du hasard.

Qu’importe que l’on croie
À Jésus ou Satan,
Ce qui en nous s’accroît
N’est jamais le printemps.

Qu’importe que l’on soit,
Qu’importe que l’on mue,
C’est par l’amour de soi
Que notre monde est mû.

Qu’importe qu’on soit vaincu
Par pucelle ou putain,
C’est toujours même cul
Au fond des nuits sans tain.

Qu’importe qu’on soit élu
Ou dernier des parias,
Il n’y a pas de salut
Malgré l’Ave Maria.

Qu’importe que l’on soit,
Qu’importe que l’on mue,
C’est par l’amour de soi
Que notre monde est mû.

Qu’importe que la foi
Soulève des rochers,
Dans la tombe il fait froid
Debout ou bien couché.

Qu’importe si l’on doit
Hurler ou roucouler,
Toujours entre les doigts
Le sable vient couler.

Qu’importe que l’on soit,
Qu’importe que l’on mue,
C’est par l’amour de soi
Que notre monde est mû.

Qu’importe d’être ému
Par la rose ou un chant,
En nous ce qui remue
C’est le grand loup méchant.

Qu’importe que les nues
Arrosent notre vie,
C’est une histoire nue
Que nous aurons gravie.

Qu’importe que l’on soit,
Qu’importe que l’on mue,
C’est par l’amour de soi
Que notre monde est mû.

 

Complainte du bas de laine

Si tu voulais bien Madeleine
Me glisser dans ton bas de laine,
Je resterais là en sentant
Ton corps encore dans cent ans,
Ton corps encore Madeleine
Tout au fond de ton bas de laine

Déjà enfant tes seins tes fesses
M’obsédaient tant que je confesse :
J’allais guetter sous tes fenêtres
Le feu qui me ferait renaître,
Naître et renaître Madeleine
Tout au fond de ton bas de laine

Si tu voulais bien Madeleine
Me glisser dans ton bas de laine,
Je resterais là en sentant
Ton corps encore dans cent ans,
Ton corps encore Madeleine
Tout au fond de ton bas de laine

Changeant d’amants mais pas de corps,
Tu demeurais mon seul décor
Mon seul théâtre et paysage
Mon pays fou ou bien trop sage,
Fou et sans âge Madeleine
Tout au fond de ton bas de laine

Si tu voulais bien Madeleine
Me glisser dans ton bas de laine,
Je resterais là en sentant
Ton corps encore dans cent ans,
Ton corps encore Madeleine
Tout au fond de ton bas de laine

Et si un jour tu meurs, tu crèves
D’une tumeur, d’un mauvais rêve,
Il me restera ton bas pourtant
Ton bas jusqu’à la fin des temps,
Oui, qu’on m’enterre Madeleine
Tout au fond de ton bas de laine

Si tu voulais bien Madeleine
Me glisser dans ton bas de laine,
Je resterais là en sentant
Ton corps encore dans cent ans,
Ton corps encore Madeleine
Tout au fond de ton bas de laine…

***

Complainte du rappeur

J’aurais dû être un fier trappeur
Raton laveur ou secoureur
Préfet d’police ou bien squatteur,
Au lieu de ça j’suis qu’un rappeur
Au lieu de ça j’suis qu’un rappeur

Je gratte nuit et jour des mots
C’est pas le plus sale des boulots
J’aligne des centaines de rimes
C’est pas le plus grave des crimes

J’aurais bien pu violer ta sœur
Tuer ton frère la bouche en cœur
J’aurais pu être Bush le flingueur,
Au lieu de ça j’suis qu’un rappeur
Au lieu de ça j’suis qu’un rappeur

Je brûle ma vie par les paroles
Et pour certains j’ suis une idole
Mais d’autres me f’raient bien la peau
Pour pouvoir danser sur mes os

J’aurais dû aller vivre ailleurs
Au pays des oiseaux branleurs
Sous le soleil qui bronze les cœurs,
Au lieu de ça j’suis qu’un rappeur
Au lieu de ça j’suis qu’un rappeur

Je préfère clamser parmi les gueux
Plutôt que chez les rats vicieux
Qui pullulent dans les cités
Promises à la félicité

J’aurais dû être un fier trappeur
Un grand voleur, un sans-pudeur
Un travailleur ou un glandeur,
Au lieu de ça j’suis qu’un rappeur

J’suis qu’un rappeur
J’suis qu’un rappeur…

 

Complaintes © Henri Abril. Tous droits réservés