L’air et le feu

L’AIR ET LE FEU

LES FRANÇAIS VUS PAR LES RUSSES
(35 témoignages du 17e au 20e siècle)

 

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Préface du livre
Lorsque Anne, fille du grand-prince de Kiev Iaroslav le Sage, arrive en France en 1051 pour épouser le roi Henri 1er, elle n’est pas dépaysée. Belle et cultivée, parlant le latin, elle aurait même tendance à penser que la cour de son père était par maints aspects supérieure à celle des Capétiens. Qui plus est, les gens de Kiev en savaient bien davantage sur les mœurs et les événements d’Europe que les Français sur ces « demi-barbares ». Malheureusement, si le « charme slave » s’avéra d’emblée opérant au point que Raoul de Crépy, déjà marié et père de quatre enfants, enlèvera Anne peu après le décès du roi et vivra avec elle jusqu’à sa propre mort survenue en 1073, nous ne savons pas quel fut le jugement d’Anne sur les habitants de sa nouvelle patrie.

On pourrait cependant croire que, dès lors, « l’histoire d’amour entre la France et la Russie allait commencer pour s’enraciner dans les siècles », comme le dit le poète Constantin Balmont. Pourtant, il faudra attendre le début du dix-huitième siècle pour voir apparaître le premier témoignage écrit d’un Russe sur la France et les Français. Que s’est-il donc passé en près de sept siècles ? Tout d’abord, le Grand schisme de 1054 qui va confiner la Russie dans l’orbite byzantine, puis, au treizième siècle, l’invasion tataro-mongole qui repousse la Russie vers l’Est et la coupe durablement de l’Europe catholique. Après 1480, lorsque les Russes auront secoué le joug mongol, on voit peu à peu des marchands, médecins, architectes et militaires prendre le chemin de Moscou, mais ce sont surtout des Allemands et des Hollandais, des Suédois, puis des Italiens et des Anglais. Le marchand Etienne Vatier est un des premiers Français à débarquer, en été 1583, suivi du Dieppois Jehan Sauvage qui laissa quelques lignes sur son voyage de 1586 : la première relation d’un Français sur les Russes, semble-t-il. Ce sera ensuite au capitaine Margeret, un mercenaire qui se mit tour à tour au service des divers prétendants au trône pendant le Temps des troubles, de rédiger son singulier Estat de l’Empire de Russie (1607).

Mais les Russes, que pensent-ils, que disent-ils de la France ? Pas grand-chose, sans doute. Outre qu’on voit encore peu de Français en Moscovie, ni les souverains russes (le dernier à s’être aventuré en Europe, avant le voyage de Pierre le Grand, était Iazaslav de Kiev, en 1075 !), ni leurs sujets ne sont enclins à mettre le pied hors des frontières. Les premiers « officiels » russes à se rendre en France sont deux messagers du tsar Michel Romanov, Kondyrev et Névérov, qui doivent traverser le pays pour dénicher le jeune Louis XIII à Bordeaux, en 1615. Mais toujours pas d’ambassadeur russe en France. Un clerc du Prikaz des Ambassades (ministère des Affaires étrangères, en quelque sorte) note en établissant la liste des pays étrangers avec lesquels la Russie entretenait des relations, en 1664 : « Aucune ambassade ni aucun message n’ont été envoyés aux rois de France, d’Espagne et de Portugal, et il n’y a donc rien à en dire. Bien que des messages aient été auparavant échangés avec le roi de France, les troubles et les incendies ont brûlé toutes ces missives, si bien qu’il n’en reste aucune trace ». Quant au Registre du commerce établi par ce même clerc Grigori Kotochikhine, il ne mentionne aucun marchand français à côté des Perses et « autres Grecs ».

C’est avec Pierre 1er que tout commence à changer. Souhaitant une alliance avec la France, il songea même à marier sa fille, la future impératrice Elisabeth, au petit Louis XV. Mais pour en savoir davantage sur « cette belle inconnue, la France », où il se rendra lui-même en mai 1717, le tsar a demandé à son ambassadeur aux Pays-Bas, Andreï Matveïev, d’aller en mission en France et de faire un « rapport circonstancié » sur tout ce qu’il y verrait. Parti pour un ou deux mois, ledit Matveïev passera plus d’une année en France, essentiellement à Paris, en 1705-1706, et enverra à Saint-Pétersbourg un énorme rapport où il consigne effectivement par le menu tout ce que ses yeux ont pu observer, depuis la forme du pavé et le nombre d’églises et de paroisses jusqu’aux toilettes des dames, le rituel de la Cour, les jeux, les plats servis à table, etc. Malheureusement, peu d’observations psychologiques dans cet inventaire de comptable. Matveïev se contente tout juste de relever « l’esprit acéré de ce peuple ». Il s’agit néanmoins, tracé sur une feuille et plus d’un siècle après Jehan Sauvage, du premier jugement porté par un Russe sur les Français (notons que le rapport de Matveïev ne sera publié que dans la seconde moitié du vingtième siècle).

La culture, l’esprit français ne pénètrent véritablement en Russie que sous le règne des femmes, d’abord Elisabeth Petrovna, puis surtout Catherine II. Comme partout ailleurs en Europe, peut-être même davantage, la vague gallophile sera déferlante, parenthèse faite, bien sûr, de la majorité du peuple russe, servile et muet, qui n’était pas encore entré dans l’histoire. Quant aux nobles, ils commencent enfin à voyager en Europe, notamment en France, à s’y installer : il existe déjà une petite « colonie russe » à Paris dans les derniers temps du règne d’Elisabeth, au milieu du siècle. Voltaire ira jusqu’à écrire une satire sur le « Russe à Paris ». A Saint-Pétersbourg même, voire à Moscou plus attaché aux traditions de la vieille Russie, l’aristocratie russe adopte le français qu’elle finira par mieux parler que sa propre langue.
Eh bien, va-t-on savoir enfin ce que les Russes pensent de la France et des Français, comment ils les jugent ?

La princesse Dachkova, une des femmes les plus intelligentes de son temps, présidente de l’Académie des Sciences de Russie, voyagea en France et rédigea ses mémoires dans notre langue. Mais on y chercherait en vain ne serait-ce qu’une ébauche de portrait des Français, alors qu’elle se targue d’avoir fait changer d’avis Diderot à propos de l’esclavage des paysans russes : « Je vous dirai qu’ayant très-souvent médité sur ce sujet, j’ai toujours cru voir un aveugle-né placé sur un rocher escarpé, environné de précipices effrayants; la privation de la vue le laissait ignorant sur le danger de sa position; n’en connaissant point les horreurs, il était gai, il mangeait et dormait tranquillement, il jouissait du chant des oiseaux et chantait parfois lui-même. Arrive un malheureux oculiste qui lui rend la vue, sans pouvoir le tirer de son horrible position. Voilà mon pauvre clair-voyant, malheureux à l’excès, il ne chante plus, il ne mange ni ne dort presque plus; ces gouffres qui l’environnent, le pouvoir des vagues qu’il ne connaissait pas, tout l’effraye, et il finit par mourir dans son plus bel âge de frayeur et de désespoir. » Et la princesse éclairée d’ajouter : « Diderot fut soulevé de sa chaise comme par un pouvoir mécanique par cette petite esquisse que je lui fis. Il marcha à grands pas, et crachant contre terre avec une espèce de colère, me dit d’une seule haleine : Quelle femme vous êtes ! Vous bouleversez des idées que j’ai chéries et nourries pendant vingt ans…»

Le premier Russe à avoir tenté de cerner le « caractère national » des Français n’est pas un de ces aristocrates qui venaient séjourner à Paris et même s’y installer pour longtemps, mais un écrivain, Denis Fonvizine, auteur de la comédie satirique Le Dadais, encore jouée aujourd’hui. Le journal intime qu’il tenait pendant son premier voyage en France, de novembre 1777 à septembre 1778, s’est malheureusement perdu, mais il nous reste les lettres si vivantes qu’il écrivit à sa soeur Féodossia et à son protecteur, le comte Piotr Panine. D’emblée, le ton est donné : « Il convient d’y entrer (à Lyon), comme dans toutes les villes de France, en se pinçant le nez. » Oh, ces mauvaises odeurs, cette saleté, cette crasse des villes françaises, comme elles vont poursuivre les voyageurs russes, jusqu’au cœur du vingtième siècle ! C’est, curieusement, un des leitmotive les plus tenaces, de Fonvizine à Alexandre Blok et Ehrenbourg, alors qu’aujourd’hui les touristes russes, comme dans une émission télévisée récente, se disent frappés par une France « aseptisée, inodore », et que les visiteurs étrangers, au contraire, se plaignent souvent de l’« odeur indéfinissable » des entrées, des escaliers d’immeuble et des appartements russes… Denis Fonvizine va cependant plus loin dans son rejet de la France, et son attitude est résumée dans ce conseil : « Si vous souhaitez faire aimer la Russie à nos jeunes Russes, il faut les envoyer en France, parce que lorsqu’ils auront vu ce qui s’y passe, ils en seront tellement dégoûtés qu’ils n’auront plus qu’un désir : celui de revenir dans leur pays. »

Les lettres de Fonvizine, largement diffusées à l’époque, semblent avoir donné le « la » aux voyageurs russes postérieurs qui voudront parler de la France, de Nikolaï Gretch à Gogol et Dostoïevski. C’est peut-être la plus grande surprise qui nous attend quand on regarde l’image des Français qui est renvoyée dans ce livre-miroir, propre à faire fondre quelques idées reçues : on y verra le Français sale, belliqueux et pillard, léger, fat, mégalomane, bassement matérialiste, vantard et vaniteux. Et ce, parfois sous la plume des esprits russes les plus cultivés et les mieux informés.

Il y a sans doute là une réaction naturelle face à la gallomanie envahissante, particulièrement odieuse aux slavophiles; mais aussi l’envie de dénigrer, de tourner en dérision une grande soeur qui a mieux réussi que vous, qui s’est installée dans le confort et la civilisation, et que l’on jalouse en secret. Sans compter, chez nombre d’auteurs russes issus de la noblesse, une empreinte manifestement élitiste, une morgue aristocratique à l’égard de la France « bourgeoise », « républicaine », qui est souvent l’unique objet de leur observation à la loupe : « Quant à la vie du peuple en France, je ne la connais point », avoue franchement Saltykov-Chtchédrine. Un autre écrivain, qui vécut longuement en France, Ivan Tourguéniev, a certainement raison de conclure : « Le moment survient où les peuples, divers individus s’arrachent à la tutelle. La réaction contre ceux qui l’imposaient devient inévitable et souvent excessive. »

Cependant, les choses ne sont pas aussi simples. Le grand poète Marina Tsvetaïéva rappelle combien tous les intellectuels russes ont été imprégnés, jusqu’au début de ce siècle, de civilisation, de littérature, d’histoire française « sucée avec le lait maternel ». Alexandre Herzen affirmait déjà : «Nous avons vécu Rousseau et Robespierre comme les Français. » Et Maurice Druon n’a donc pas tout à fait tort de dire, traduisant une opinion répandue, que les Français, avec leur langue et leur culture, « font partie du patrimoine génétique intellectuel des Russes »; en sorte que les Russes ont pu être perçus dans un rôle d’exécuteurs du « testament français », selon la formule rendue célèbre par le romancier francophile Andreï Makine. Mais cette même Tsvetaïéva faisait remarquer que l’influence française, aussi étendue et persistante fût-elle, n’était toujours restée qu’en surface, jamais au-dessous du niveau où se cristallise l’essence russe, « une essence étrangère à la France ».
La relation des Russes aux Français pourrait être mieux comprise si on la comparait à leur attitude envers les Allemands et les Anglais qui, avec la France, formaient le « triangle sacré par rapport auquel la Russie a douloureusement cherché à se définir durant plus de deux siècles », comme le relevait l’historien Sergueï Soloviev. Sans entrer dans une confrontation qui dépasse l’objet de ce livre, on peut noter, pour reprendre l’image du poète Valéri Brioussov, que si l’Allemagne avait été pour la Russie une « épouse » que l’on trouvait ennuyeuse à mourir ou que l’on détestait en son for intérieur pour l’encenser en public, la France fut au contraire pour elle une « amante » sur laquelle on pouvait lancer toutes les saillies possibles, sans qu’elle s’en offusque outre mesure, mais qui ne cessait jamais d’émouvoir. L’Angleterre, quant à elle, était l’étrangère intouchable, forçant l’admiration, mais qui vous glace « telle une femme frigide » et capable de toutes les perfidies. Louis Léger, slaviste de renom qui avait « toujours cherché à connaître les sentiments des Russes à notre égard », n’était pas loin de ces mêmes images quand il rapporte ses conversations avec des gens simples. « Quelque temps après, je me trouvais sur le bateau à vapeur qui va de Saint-Pétersbourg à Cronstadt. J’étais allé rôder en troisième classe pour observer le peuple… Pour savoir ce qu’ils pensaient de nous, je dissimulai ma qualité de Français, et lorsqu’ils me demandèrent qui j’étais, je leur répondis que j’étais un Slave d’Autriche, un Tchèque. Je liai conversation avec un menuisier qui se promenait sur le pont… Il m’avoua : « Tu sais, il y a les Anglais, puis il y a les Français. Les Anglais, vois-tu, on se bat avec eux, puis une fois que la paix est faite, ils te tendent la main droite et, pendant ce temps-là, ils cherchent à te donner, de la main gauche, un coup de poignard dans le dos.
– Et les Français ?
– Ah ! les Français, pour eux, ce n’est pas la même chose, ce sont de braves gens. On se bat, on se cogne, on se flanque par terre, puis après qu’on a fait la paix, on s’embrasse et on est bons amis; ce sont de braves gens ! »
Clichés que tout cela ? Certes. Mais il est indéniable, comme on le verra dans ce livre, que même aux temps de confrontation sanglante, en particulier pendant la guerre contre Napoléon et celle de Crimée, les Russes n’ont jamais ressenti de haine véritable à l’égard des Français. « Sous le rapport du courage, les deux nations s’étaient bravement rencontrées sur les champs de bataille, et y avaient appris à s’estimer mutuellement », affirme Mikhaïl Orlov, un officier russe qui participa aux combats contre les Français et auquel on doit, écrite en français, une remarquable comparaison des caractères russe et français.

Et il va de soi que, depuis la fin du dix-huitième siècle, depuis l’écrivain et historien Nikolaï Karamzine qui séjourna en France au moment de la révolution, les témoignages admiratifs, bienveillants, à l’égard des Français n’ont pas manqué non plus sous la plume des auteurs russes. On en trouvera, dans les pages qui suivent, deux exemples particulièrement significatifs. D’abord, dans le dernier quart du dix-neuvième siècle, celui de Mikhaïl Saltykov-Chtchédrine qui ne ménageait pas sa plume satirique pour peindre la vie et les mœurs russes, mais qui, ayant fait un voyage en France, retrouve l’art des nuances pour en parler et confie que Paris lui « a tout de suite pris le cœur ». Enfin et surtout, plus près de nous, Ilya Ehrenbourg qui, parmi tous les intellectuels de Russie, mériterait sans doute le béret d’or du francophile : c’est que l’homme, avec son « regard badaud de touriste », connaît assez la France pour la dépeindre sans fausses couleurs et aime assez les Français pour ne pas craindre de les égratigner sans méchanceté. Peut-être « son Paris », celui des pissotières et des boutiquiers, paraîtra-t-il un tantinet suranné, tout comme « sa province française », celle des premières Citroën, celle d’avant le TGV et les autoroutes. On verra toutefois que ses Cahiers français trouveraient pleinement leur place dans les pages « culture » d’un journal d’aujourd’hui.

Mais alors que le point d’équilibre semblait avoir été atteint ici dans le regard russe sur les Français, ce regard lui-même disparaît soudain comme par enchantement. Le vide total pendant près de quatre décennies. Certes, on pourrait aligner sur une étagère assez longue les livres, reportages et essais, parus sur la France entre la fin de la dernière guerre et les débuts de la perestroïka, mais les journalistes et les écrivains russo-soviétiques y parlent d’un pays presque imaginaire qui, dans le meilleur des cas, prolonge des pans rétrécis du passé français : à longueur de page, les descendants de Robespierre et des Communards, l’interminable Père-Lachaise et le petit logement de la rue Marie-Rose, où vécut Lénine pendant son exil parisien et qui, devenu la Mecque du touriste soviétique, paraissait avoir englouti toute image de la France dans ses entrailles. Malgré toute notre bonne volonté, il nous a été impossible de trouver là un tableau des Français qui eût pu prendre place à côté des pages d’Ehrenbourg et de ses prédécesseurs. Et pourtant, certains d’entre eux, comme le vénérable écrivain Marietta Chaguinian en 1965, avaient parcouru la France en Volga pour la conter ensuite à leurs lecteurs… Eussent-ils monté l’âne qui attend toujours le Stevenson russe dans une grange cévenole, que la censure et l’autocensure ne leur auraient pas permis d’aller au-delà des stéréotypes fortement idéologisés.
C’est seulement dans les dernières années de la perestroïka que les voyageurs et journalistes russes écrivant sur la France commencent, avec toutes les peines du monde, à se débarrasser de ces œillères. Youri Roubinski en est un bon exemple. Mais n’est-il pas déjà trop tard ? C’est que, pour les Russes d’aujourd’hui, pour ces « nouveaux Russes » qui défraient surtout la chronique para-économique et criminelle, la France semble « s’en aller », comme déjà Nikolaï Gretch s’en plaignait au milieu du siècle dernier. La connaissance de la langue française reflue de façon catastrophique depuis quelques années, et la France, les Français ne sont souvent perçus que comme une province ─ certes agréable à vivre, lieu de villégiature pour les plus fortunés ─ de l’Amérique universelle, omniprésente. Il n’est que de lire les impressions d’une jeune journaliste russe, en 1996 : déçue et amusée, elle s’étonne de découvrir que les Français ne savent plus parler d’amour et ne connaissent même pas l’anglais ou le parlent très mal…

Mais, à y bien regarder, ne s’agit-il pas de la même attitude que les visiteurs russes n’ont cessé d’arborer à l’égard des Français depuis plus de deux siècles : une sorte de distanciation désinvolte, souvent ironique ou mordante, qui ne parvient cependant pas à dissimuler ni à combattre l’irrésistible attrait, la fascination que les « mangeurs de grenouilles » exercent sur les Russes ? Il y a gros à parier que ceux-ci n’ont pas fini de s’en étonner, ni d’en parler. Affaire à suivre, donc.

H.A (1997)

[A. Garcia est un hétéronyme de H.Abril]

 

Tous les textes du livre sont en prose, à deux exceptions près que voici :

 

Alexandre POLEJAÏEV (1804-1838)

Le Français ? Un enfant.
Et c’est en badinant
Qu’il vous renverse un trône,
Ou des lois il se donne.
Il est esclave et roi,
Fort et faible à la fois,
Amoureux de lui-même,
Impatient à l’extrême.
Et vif comme un regard,
Vide comme un bavard.
Mais lui, comme personne,
Fait rire et nous étonne…

 

Guenrikh SAPGUIR (1928-1999)

Croquis parisien

J’aime Paris ― vide au bord de la nuit
Agilement dehors plaçant les chaises
(Touristes figurants, prenez vos aises)
Le garçon siffle ― artiste qui s’ennuie

Lilas et argent le Marais reluit
Gouttelettes de pluie ― lavis ― rien qui pèse
Bric-à-brac antique et autres foutaises
Des coulisses un Mac Donald’s surgit

Et le soir ― le clair-obscur comme un drame ―
Pensée d’Eiffel, songes de Notre-Dame
Roses, amours des aquariums-vitrines

Mais Paris en vérité sent l’urine
Et sur Montmartre ― spectres qui s’envolent ? ―
Le Sacré-Cœur blanchit par ses coupoles

 

(Traduit par Henri Abril)